Monsieur le Premier Ministre,
Chers confrères, chères consœurs,
Permettez-moi, au nom de l’Association de la Presse Ministérielle, de commencer par une pensée pour nos collègues turcs… à trois heures d’ici, l’exercice de notre métier devient de plus en plus dangereux pour tous ceux qui veulent informer en toute indépendance sur un régime désormais autoritaire. Qui l’eut pensé il y a une dizaine d’années encore quand la Turquie était regardée comme une démocratie en devenir, prête à s’arrimer à l’Europe…
Pensées aussi pour nos très rares collègues et notamment de l’AFP qui, au risque de leur vie, nous envoient régulièrement des nouvelles du front syrien et en sont souvent les derniers témoins.
Et puis, on ne pensait pas un jour s’en inquiéter, mais solidarité également avec nos confrères américains qui risquent de connaître des moments pour le moins compliqués dans les semaines à venir… face à un président qui twitte plus vite que son ombre…et qui ne tient pas en très grande estime la liberté de la Presse.
Mais malheureusement pas besoin d’aller si loin pour se trouver confronté à des menaces qui pèsent sur notre profession : près d’une centaine de journalistes ont dû quitter iTélé pour protester contre des dérives déontologiques après avoir lutté avec toute leur énergie…Nous leur témoignons ici même notre amitié.
La leçon pour nous, elle est simple : rien n’est jamais acquis. Tout peut basculer et à tout moment. C’est pourquoi nous devons rester sans cesse vigilants sur les garanties qui nous permettent de travailler sans entraves, sans obstacles, sans contraintes…
Je saisis d’ailleurs ici l’occasion, Monsieur Le Premier Ministre, pour vous alerter sur la situation inquiétante de la presse. De nombreux titres, sont en danger, notamment en raison d’aides attribuées de manière opaques.
Nous comptons donc sur vous pour vous emparer de cette question…dans le peu de temps qui est le vôtre.
Car, au milieu d’un océan d’événements inattendus, d’inconnus, de pronostics déjoués, il est une chose qui est certaine ou quasiment –mieux vaut désormais rester prudents !- c’est que vous égalerez un record de durée – de courte durée- ici à Matignon…
En même temps c’est une manière comme une autre d’entrer dans l’Histoire…et en politique les exemples du passé nous ont instruit : la durée n’est pas forcément gage d’efficacité…
C’est donc déjà l’assurance pour vous de laisser une trace. Et peut-être qui sait saisirez-vous l’occasion de ce traditionnel échange de vœux, toujours un peu formel, pour vous démarquer de vos prédécesseurs…
Pas seulement par vos mots, par des réponses que nous attendons, par des annonces qui sont toujours les bienvenues – on ne se change pas !- mais aussi, une fois n’est pas coutume par des… imitations dont, nous le savons, vous avez le secret…Je peux vous l’assurer ce serait une première !
Autre manière de surprendre pourquoi pas et au succès là aussi garanti : nous annoncer que vous êtes candidat à la Présidence de la République …après tout, pourquoi seriez-vous le seul Premier Ministre de la Ve République à ne pas rêver de l’Elysée tout juste gravies les marches de Matignon …
On a entendu dire que vous envisagiez de prendre votre retraite. On a tout de même un peu de mal à y croire… pourquoi sinon avoir accepté Matignon, tout sauf une sinécure ?
Ou peut-être vous réservez vous pour 2022 ?
Avec l’année qui vient de s’achever, nous n’en sommes plus à une surprise près !
Car quel cru que 2016 ! Je ne pensais pas, je le reconnais, que je présenterai mes vœux à un troisième Premier Ministre en quatre ans… même votre prédécesseur Manuel Valls à cette même place l’an dernier nous avait donné rendez-vous ici en 2017 ! C’est dire !
Votre nomination est donc le fruit d’une saison politique hors du commun… avec un Président affaibli dont beaucoup pensaient qu’il repartirait en campagne malgré une impopularité historique.
Il a finalement jeté l’éponge, spectaculairement… victime de son bilan sur le front du chômage, d’un lien rompu avec les Français mais aussi d’une majorité rebelle et enfin, enfin disent certains, d’un Premier Ministre, votre ami, votre frère – comme vous l’avez vous-même confié – pressé et persuadé qu’il était davantage l’homme du moment !
Sans parler d’un livre de deux de nos confrères, espéré comme l’aube d’une nouvelle conquête et qui s’est mué en symbole d’un crépuscule.
A droite de l’échiquier, pas mieux… ! nous étions peu voire aucun à pronostiquer la victoire d’un outsider François Fillon.
Tout nous pousse à l’humilité. C’est une piqûre de rappel utile pour nous tous. Aucun jugement ne peut être définitif.
Peut-être n’écoutons nous pas suffisamment… et pourtant nous aurions dû nous en douter : les Français ne voulaient pas de la même finale, du même casting qu’en 2012… les voilà servis… comme d’habitude, ils ont eu le dernier mot et l’auront encore en mai prochain…Comme nos amis Américains l’ont fait contre toute attente. Nous apprenons sans cesse, nous le devons, et notamment de nos erreurs.
Les Français en attendent autant de leurs dirigeants mais cela relève de votre responsabilité…
En ce qui nous concerne, la défiance à notre égard existe, nous ne la nions pas mais elle ne doit non pas nous tétaniser.
Au contraire, elle doit nous encourager à toujours remettre l’ouvrage sur le métier.
Et, après deux primaires, deux tours de chauffe, nous aurons de quoi faire pendant la campagne présidentielle…
Elle s’annonce passionnante mais aussi plus que jamais exigeante : informer sur les projets de tous les candidats, éclairer nos concitoyens dans leurs choix mais aussi mettre en garde contre des discours démagogiques, populistes, séduisants mais illusoires… et ce d’où qu’ils viennent !
Le journalisme factuel est essentiel, il est la substantifique moelle de l’information mais il n’empêche pas le journalisme d’opinion. La distinction doit être claire mais c’est la condition d’une démocratie réelle et vivante !
Nous ne cesserons pas non plus de vous soumettre à la question… c’est un vous général et un vous « particulier » Monsieur le Premier Ministre…
Et d’abord n’avez-vous pas un regret: ne pas avoir trouvé une alternative à l’état d’urgence, devenu état permanent et qui n’est jamais satisfaisant pour les libertés individuelles. Nous y sommes, vous l’imaginez, particulièrement sensibles…
Avant de quitter ces lieux vous aurez également de grands choix à faire…et par exemple l’évacuation de Notre Dame des Landes. Vous qui êtes un démocrate, un référendum a été organisé. Les votants se sont prononcés en faveur de son évacuation. Allez-vous réellement y procéder ?
Ou était-ce tout simplement une erreur d’en faire l’une des pierres angulaires de ce quinquennat… alors même que vous avez à gérer une menace terroriste comme jamais, qui mobilise les forces de l’ordre…
L’occasion pour nous ici de rappeler qu’il y a à peine deux ans nos collègues de Charlie Hebdo étaient frappés dans leur chair et à travers eux toute notre profession… nous ne l’oublions pas.
Comme nous n’oublions pas le triste et sanglant cortège d’attentats que notre pays a connu depuis… nous avons alors tout fait pour informer au mieux, adaptant notre manière de dire et d’expliquer aussi au fil des épreuves.
Alors à défaut d’être candidat à la présidentielle –sauf encore une fois annonce de votre part-, nous serions ravis d’entendre votre vision des choses sur des sujets aussi fondamentaux surtout si le vainqueur de la primaire de la gauche n’est pas votre candidat…
Car vous deviez rester en retrait mais finalement vous n’avez pas résisté à apporter votre soutien à Manuel Valls qui connaît une campagne pour le moins mouvementée. Un soutien à votre manière certes, sans y paraître, mais sans ambiguïté…
Mais au fond ne regrettez-vous pas que François Hollande ait abandonné son camp en rase campagne ? Lui-même commence visiblement à nourrir quelque amertume…peut-être au regard du niveau de la primaire en cours ?
Il faut dire qu’il a laissé derrière lui une gauche explosée qui a du mal à exister face à un trentenaire que personne n’a vu venir et qui séduit de plus en plus de Français… Mais qui n’a pas vos faveurs…
Et pourtant, à la fois libéral et social, de gauche a même reconnu Jean-Marc Ayrault, Emmanuel Macron n’est-il pas le véritable fils spirituel, l’héritier voulu par François Hollande ? Et puis, après tout, vous pourriez vous réjouir d’un vent de nouveauté dans la politique ? Mais je crois savoir que l’arbre que vous allez planter à Matignon, une tradition dans cette maison, a un rapport avec la fidélité. Peut-être faut il y voir un message codé ?
Voilà beaucoup de questions qui en général, reconnaissons-le, recueillent habituellement peu de réponses… Mais 2016 nous a appris qu’en 2017 tout est possible ! Nous comptons donc sur vous pour faire exception et nous parler en toute franchise…Si tel n’est pas le cas, désolé mais nous retenterons… c’est le cœur de notre métier et ce qu’attendent de nous les Français…
Je vais donc vous céder la parole, Monsieur le Premier Ministre…mais avant cela, nous vous présentons ainsi qu’à votre gouvernement tous nos vœux sincères et républicains de réussite, dans l’intérêt du pays. Au nom de l’Association de la Presse Ministérielle bonne année à tous et bien sûr Vive la Liberté de la Presse !
Benjamin SPORTOUCH
Président de l’Association de la Presse Ministérielle